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Ombre végétale
Michèle Wack

TEXTE ENVOYÉ A LABO DES HISTOIRES

avril 2023. en réponse à un appel à textes sur le thème :

Comment l’écriture a changé ma vie, quel est mon rapport à l’écriture, raconter un épisode précis lié à l’écriture qui m’a particulièrement marqué, raconter comment l’écriture contribue à définir mon identité.


Voici ce que j'ai envoyé, en espérant figurer parmi les finalistes. (j'ai d'ailleurs emprunté quelques phrases au post précédent de mon blog)






Embourbée dans les responsabilités, le travail, la course au temps, écrire marque une pause où l’on se pose. On ouvre ses sens, portes de l’esprit, on laisse le vent tourbillonner, aérer, envoyer un souffle nouveau, on enlève ses oeillères, on élargit l’horizon, on se penche sur le mouvement du monde.

On touche, on goûte, on sent. On observe, on détaille, on contemple…

Pourquoi fait-on les choses de telle façon et pas d’une autre ?

La démangeaison d'écrire sur l’homme noir dans un café dont la jambe tressaute durant tout le déjeuner qu'il prend avec ses deux collègues blancs, les trois en tenue d'ouvriers du bâtiment. D’écrire sur la réaction d'une amie à la suggestion de ne plus enfanter. D'écrire sur l'élection de Trump, sur la peine éprouvée tout à coup sans crier gare, sur l’interprétation d’une réflexion entendue qui vous touche alors qu’elle ne vous était peut-être même pas adressée. Par curiosité, s’insinuer dans la tête des gens, se mettre à leur place, jouer leur rôle.

On lit pour vivre d’autres vies que la sienne dans d’autres mondes que le sien.

On écrit pour les inventer, pour témoigner, pour raconter ce qui nous émeut, nous passionne, nous interroge, nous choque, nous effraie ou nous fascine.

On écrit pour rêver, pour célébrer la beauté.

On s’arrête sur une sensation, d'où vient-elle ?

On creuse, on remonte une pelletée de sentiments, d'émotions, on trie, on jette, on hésite sur un souvenir, on creuse plus profond, est-ce une pépite, un bout de roc, de fondation, de la poussière incrustée qui a tout encrassé ?

L’écriture est un sentier que suit la nostalgie pour remonter les traces d'évènements chéris : ici un passé perdu à tout jamais, où il fait bon se retrouver dans l'innocence sucrée de l'enfance, le pays d’Alice. Là, une passion exaltante dont les remous s’agitent encore en nous. Ailleurs des folies, des rires et des partages, des cadeaux que l’on couche sur le papier comme dans notre mémoire pour en jouir encore, pour nous soutenir et nous réconforter dans le présent, la preuve d’une existence pétillante et non pas morne, d’un vécu dont les étincelles nous illuminent toujours et nous rassurent.

On écrit pour se comprendre, pour décortiquer une envie de pleurer ou de crier, se l’expliquer, s’en distancer et s’apaiser.

Douleur, colère, injustice enflamment les mots, on livre bataille, révolte silencieuse.

Joie, beauté, amour exaltent les mots, on livre le bonheur, émerveillement silencieux.


Premier jet d’un premier roman qui m’a occupée une année entière tous les soirs après le travail. Chaque phrase réfléchie, inspirée, ressassée, remodelée, ôtée, rajoutée, concoctée, ciselée… Et puis un jour à l’heure de m’y mettre, j’ouvre l’ordinateur : écran noir ! J’éteins, je rallume, une fois, deux fois, cinq fois, mon coeur s’affole, cogne. Non, impossible, tout perdre comme ça d’un seul coup ! Mes mains tremblent, les larmes troublent ma vue, allez respire, reprends-toi ! Ce n’est pas la fin du monde ! Je téléphone à docteur informatique, lui apporte mon Mac book, pas le temps aujourd’hui ni demain, je vous rappelle quand je peux ! Deux jours puis trois où j’espère, prie, tente de me raisonner, et si c’était un signe du destin ? Enfin le coup de fil fatal : « désolée, madame, rien à récupérer, HS… » Boule dans la gorge, dans le ventre, découragement, je suis Sisyphe au bas de la montagne. Une semaine plus tard, j’ai racheté un ordinateur, installé le logiciel et je redémarre. Je rassemble tout ce dont je me souviens dans ma tête quand je réalise qu’au lieu de vouloir reconstruire pierre par pierre sur les ruines de mon ouvrage, repartir à zéro est une nouvelle aventure et peut-être ce qu’il y a de mieux à faire. Laisser l’intuition changer de prisme, les pensées se fixer ou s’en aller, les idées se bousculer, s'envoler le tapis volant de l'imagination, la sincérité s'exprimer.

« Mettre en ordre ses pensées sous la forme rectiligne d’une phrase. » A. Baricco.

Les méandres que prend l'écriture avant de s'avouer ce que l'on cherche à dire. Elle contourne, détourne, divague, joue à cache-cache, nous aguiche. Consonnes et voyelles s’en mêlent, cherchent l’image, la rime, les courants nous éloignent du rivage, maintenir le cap…

L’exploration au plus profond de soi, la confrontation entre âme et mental, le corps à coeur, où bonnes et mauvaises surprises sont au menu mais toujours quelque chose apparait. On se révèle à soi-même.

Tel un dieu créateur qui ne s’interdit rien, on s’étonne de voir sa plume retenue en l’air, tout à coup craintive, fragile. Quelle est cette peur, cette angoisse qui surgit ?

Dieu manque de confiance en lui, doute de ce qu’il voit et entend, de ses compétences, de ce qu’il affirme, exhume des secrets enfouis. Il cherche la vérité, s’approche au plus près des faits pour mieux les détourner, les contrarier, les renverser, c’est comme ça qu’ils deviennent vrais !

Sortir l’extraordinaire de l’ordinaire, voguer parmi les âmes humaines, les habiter, les découvrir, juste pour le plaisir de s’y noyer et de se sentir vivant.

L’écriture est une solitude, une démarche osée où tout est permis, un univers de tous les possibles qu'on apprivoise à coups d'audace, un affranchissement de son moi social, un apprentissage de la liberté, une drogue pour vivre.




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